Savoir profiter de la pluie ou comment la crise actuelle pourrait être bénéfique à la Cour pénale internationale

Les retraits de la Gambie, de l’Afrique du sud et du Burundi sont au cœur du débat de cette quinzième Assemblée des États Parties (AEP). En effet, pour la première fois, des États ont décidé de se retirer de ce qui est communément présenté comme le mécanisme phare de la lutte contre l’impunité. Cette crise traversée par la Cour pénale internationale (ci-après CPI ou la Cour) n’est-elle pas une opportunité pour celle-ci de renforcer ses relations avec ses alliés et d’adresser directement les principales problématiques qui tendent à l’affaiblir? Voici quelques perspectives en ce sens.

  • Trouver des parapluies ou comment tirer profit de ses alliés

Une des conséquences des retraits du Burundi, de la Gambie et de l’Afrique du sud est le fait que plusieurs autres États africains ont marqué ouvertement et avec fermeté leur support à la Cour. Ainsi, les voix du Nigeria, du Ghana ou encore du Botswana se sont fait entendre lors des sessions plénières. Le Ghana, par exemple, a clairement invité les trois États à reconsidérer leur décision respective.

Ces discours ont eu pour bénéfice de déconstruire la vision simpliste selon laquelle, d’une part, la CPI se construirait contre les États africains, et d’autre part, que les États africains ne seraient pas engagés dans la lutte contre l’impunité. On notera par ailleurs que ces arguments reposent sur un paradigme d’une Afrique monolithique où l’action d’un État serait représentative d’un continent. Ainsi, le rappel de l’engagement historique de différents États du continent dans la mise sur pied de la Cour pénale internationale fut le bienvenu de même que la mise en lumière des différentes initiatives visant à la lutte contre l’impunité (les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises ou encore les discussions autour de la mise sur pied d’une cour spéciale pour la Centrafrique).

Par ailleurs, l’AEP fut également l’occasion d’adresser un véritable exercice de pédagogie quant aux raisons respectives de ces retraits. Il est à noter que cet exercice a été mené avec brio par la société civile et notamment par certaines organisations de la société civile de ces mêmes États. Cela a permis une remise en perspective des argumentaires employés dans la justification de ces décisions.

Il paraît indispensable que la communication des différents organes de la Cour sur ce sujet s’appuie fortement sur ces alliés bienvenus et tende à prendre plus en considération l’impact des perceptions. Déconstruire les lieux communs dont résultent des perceptions biaisées devrait constituer un enjeu transversal des stratégies de communication des différents organes de la Cour. Par ailleurs, cette stratégie de communication ne devrait pas se limiter à des destinataires habitués des enjeux propres à la justice internationale pénale mais devrait être adressée à un public plus large.

  • Sauter dans les flaques ou comment enfin aborder les enjeux relatifs au Statut faisant débat

La CPI et l’Assemblée des États Parties doivent également profiter de cette crise pour parvenir à solutionner certaines problématiques polarisantes relatives au Statut qui entament la légitimité de l’institution.

Ainsi, il apparaît majeur que la question de l’articulation des articles 27 (pilier du Statut de Rome en ce qu’il est relatif au défaut de pertinence de la qualité officielle) et 98 (« Coopération en relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise ») fasse l’objet d’une étude approfondie. Plus de dix ans après le renvoi de la situation du Soudan par le Conseil de sécurité, la question du respect des immunités relatives à un chef d’État non partie au Statut et la coopération dans ce cadre constitue toujours un sujet de discorde entre États, universitaires et organisations de la société civile. La problématique a de nouveau été soulevée par l’Afrique du sud comme une des raisons de son retrait de la Cour (les enjeux derrière le choix de l’Afrique du sud sont bien évidemment plus complexes et nombreux que ce seul argument). Celle-ci fait valoir la nature coutumière des immunités des chefs d’État justifiant ainsi son refus d’arrêter le président du Soudan lorsque celui-ci était son territoire (position contestée au sein même de son territoire par les cours nationales). Ce débat n’est pas nouveau mais tend à polariser les tensions entre certaines organisations de la société civile, pour qui la question des immunités ne devrait pas se poser (ici ou ici par exemple), la Cour, qui a déjà rendu un certain nombre de décisions relatives  au trio renvoi par le Conseil de sécurité/ coopération/ immunités demandant aux États de coopérer et certains États faisant valoir la portée coutumière des obligations relatives aux chefs d’État. À cela se rajoute, certains arguments propres à la situation comme entre autres celui l’impact de la particularité des charges portées contre al-Bashir, à savoir le génocide.

Une discussion approfondie sur cette problématique permettrait d’ouvrir un espace de communication entre les États afin d’exprimer leurs préoccupations mais aussi  avec les acteurs de la société civile. Une autre possibilité, prévue par le Statut à l’article 119, serait pour l’Assemblée des États parties de renvoyer une question de différence d’interprétation entre les États devant la Cour internationale de justice afin que celle-ci rende un avis consultatif.

Par ailleurs, d’autres conséquences inhérentes à un renvoi d’une situation par le Conseil de sécurité font l’objet de nombreuses remarques. Ce mode de saisine questionne pour plusieurs raisons : la légitimité d’un renvoi par un organe dont trois États permanents ne sont pas parties au Statut (Chine, Russie, États-Unis), l’absence de suivi relatif à l’avancement des situations renvoyées et les coûts relatifs à ses renvois supportés par le budget de la Cour. Il paraît nécessaire d’entamer des discussions de fond sur ce mode de saisine et sur les conséquences qu’il implique pour la Cour comme cela a été évoqué précédemment relativement à la coopération et aux immunités.

La temporalité semble parfaite pour adresser directement différents débats latents et redondants qui nourrissent des perceptions défavorables relatives à la Cour. Après tout, « A smooth sea never made a skilled sailor ».

La délégation du Partenariat canadien à la 15e Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale est financée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) par le biais du projet “Strengthening Justice for International Crimes: A Canadian Partnership”.

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