Élection d’une juge canadienne à la Cour pénale internationale : Qui est Kimberly Prost?

Le 5 décembre 2017, lors de la 16e Assemblée des États parties (AÉP) à la Cour pénale internationale (CPI), la juge canadienne Kimberly Prost a été élue au sixième tour de votes. Elle entrera en fonction en mars 2018, tout comme les cinq autres juges nouvellement élus, et ce, pour un mandat de neuf ans. Ce billet en présente un rapide portrait, à la suite d’une rencontre privée qu’elle a généreusement accordée à la délégation du Partenariat canadien pour la justice internationale le 13 décembre 2017, en marge de l’AÉP.

Group Picture Judge Prost

Kimberly Prost est une femme d’exception. Elle nous a raconté avec transparence comment elle en est arrivée, aujourd’hui, à être élue en tant qu’une des 18 juges de la Cour pénale internationale, seule juridiction pénale internationale à vocation universelle de l’histoire. En fait, elle ne s’était jamais imaginée qu’elle deviendrait un jour juge. Révélant qu’elle était jadis timide, elle a fait progresser sa carrière en saisissant les occasions qui s’offraient à elles et en n’hésitant pas à prendre des risques.

Les expériences professionnelles variées de la juge Prost en faisaient d’ailleurs une candidate de choix pour occuper un poste à la CPI. D’abord procureure au Manitoba durant quelques années, elle a ensuite été procureure senior à la Section pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité à Ottawa. Elle a ensuite travaillé pendant 10 ans pour le Service d’entraide internationale, où elle a évalué les demandes d’extradition et d’entraide juridique reçues par le Canada. Son expérience la plus pertinente à ses nouvelles fonctions est sans doute celle acquise alors qu’elle était juge au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), où elle a siégé sur les affaires Popovic et al ainsi que Tolimir. Bien qu’elle n’eût siégé que sur peu d’affaires, cela demeurait la meilleure manière de se préparer à un éventuel poste de juge à la CPI.

En outre, la juge Prost s’est également fait connaître, au niveau international, alors qu’elle occupait le poste de médiatrice pour le Comité des sanctions contre Al-Qaida du Conseil de sécurité des Nations Unies (voir ici et ici) qu’elle a occupé pendant cinq ans, où elle avait à juger du bien-fondé ou non du maintien d’un individu sur la liste de sanctions du Conseil de sécurité. Au cours de cette période, elle a traité plus de 60 cas. Parmi ceux-ci, celui dont elle semble le plus fière est le cas Abdulrazik, où elle a réussi à faire retirer un homme soudanais de la liste de sanctions malgré une absence de consensus au sein du Comité. Elle nous a expliqué que malgré l’absence de consensus, elle a réussi à faire retirer le nom d’Abdulrazik de la liste, étant donné que le Conseil de sécurité a accordé beaucoup de pouvoir à la personne occupant le poste de médiatrice ou de médiateur. En effet, les deux seules manières de contourner une de ses décisions est soit que le Comité entier vote contre cette décision de la médiatrice, soit que cette décision soit référée au Conseil de sécurité.

La juge Prost nous a également expliqué qu’après la fin de son mandat comme médiatrice en 2015, elle ignorait quelle serait la prochaine étape dans sa vie professionnelle. C’est alors qu’elle a été sélectionnée pour devenir cheffe de Cabinet du Président de la CPI, poste qu’elle a occupé de février 2016 jusqu’à aujourd’hui. Il va sans dire que ces fonctions ont contribué à sa connaissance aiguisée du fonctionnement de la CPI. Il est toutefois difficile de déterminer si ce dernier poste a contribué à son élection ou y a plutôt nui. En effet, dans le cadre de son mandat au Cabinet, il est possible que la juge Prost ait eu accès à des informations sensibles au sujet des affaires en cours, ce qui pourrait potentiellement la placer dans une situation de conflit d’intérêts et l’obligerait à se récuser.

Lors de son élection, la candidate canadienne s’inscrivait dans la « Liste A », soit celle regroupant les candidats ayant une expertise en droit pénal (la « Liste B » regroupant les candidats « ayant une expertise en droit international public »; voir l’article 36 du Statut de Rome). Elle s’inscrivait aussi dans le groupe des femmes et dans le Groupe d’États d’Europe occidentale et des autres États. Sa candidature a été évaluée par la Coalition pour la CPI (CICC), tout comme cinq autres candidats, en tant que candidate « particulièrement bien qualifiée », en comparaison avec les six autres candidats qui ont été évalués comme étant « formellement qualifiés ».

Pour que la représentation soit équitable, les États devaient voter pour au moins un candidat de la liste A et un candidat de la Liste B, pour cinq candidates féminines, ainsi que pour un candidat pour chacun des groupes des États africains, des États de l’Amérique latine et des Caraïbes, ainsi que de l’Asie, et ce, au cours des quatre premiers tours (à l’exception des exigences de vote pour les listes, qui demeurent tout au long du processus de vote, peu importe le nombre de tours). La juge Prost a donc pu être avantagée par l’évaluation reçue de la CICC ainsi qu’en raison de son genre, mais elle a sans doute été légèrement désavantagée en raison de sa région de provenance, ce qui peut expliquer qu’elle ait été élue en cinquième (sur six juges élus), au sixième tour de scrutin.

Election Kim Prost

Il sera intéressant de constater l’apport de la juge Prost en tant que juge de la CPI, elle qui, de par ses expériences, connaît les impératifs non seulement des juges, mais également des procureurs, de la Présidence, voire même de la Défense (son expérience comme médiatrice au Comité des sanctions contre Al-Qaida du Conseil de sécurité des Nations Unies l’ayant sans doute sensibilisée dans ce domaine). Il va sans dire qu’elle est extrêmement qualifiée pour le nouveau poste qu’elle occupera. La délégation canadienne à l’AÉP a bien raison d’être fière.

La publication de ce billet et la participation de Sophie à la 16e Assemblée des États Parties dans le cadre du Partenariat canadien pour la justice internationale ont été financées par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Cette publication a été rendue possible grâce à la contribution financière du Fonds de recherche du Québec – Société et culture.

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