Rhétorique et réalité: quelle place pour les victimes durant l’Assemblée des États Parties? Éclairage au regard de la situation du Fonds au profit des victimes

A la fin de cette première semaine de l’Assemblée des États Parties  (AEP), qui se déroule du 16 au 25 novembre à la Haye, nombre de discours des états lors des sessions plénières ont  rappelé la nécessité de lutter contre l’impunité et certains ont parlé des victimes et de leur place au cœur du projet de la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour). Il est important de noter que les deux ne vont pas de pairs et que le poids symbolique de la lutte contre l’impunité n’implique pas forcément une attention aux victimes puisque celles-ci sont plus nombreuses et sont touchées par des situations plus larges que celles auxquelles les affaires jugées devant la Cour font référence.

Ce début d’AEP a vu les interventions des États dominées par le sujet des retraits annoncés du Burundi, de la Gambie et de l’Afrique du sud. Ainsi le sujet de la place effective donnée aux victimes actuellement dans le système de la Cour n’a pas été abordé et le motto selon lequel « les victimes sont au cœur du travail de la Cour », quand il a été mentionné, a été utilisé comme élément rhétorique destiné à convaincre de l’erreur d’un retrait de la CPI par les états soutenant cette dernière. « Les victimes » en tant que rhétorique instrumentalisée présente dans le discours des États rencontrent-elles « les victimes » en tant que préoccupation qui sous-tend l’action des états ?

La manifestation la plus criante de cet écart entre discours et actions concernant les personnes victimes de violations graves des droits humains a été  visible durant la rencontre entre les organisations non gouvernementales (ONG) et le Fonds au profit des victimes.

 

  • Bref rappel du fonctionnement du Fonds au profit des victimes

 

Cette entité, rappelons-le, a pour base légale l’article 79 du Statut de Rome et la règle 98 du Règlement de procédure et de preuve qui précise ses fonctions en matière de réparation et d’assistance. Le fonds a pour mission d’  « exécuter les ordonnances de réparation rendues par la Cour et (d’) offrir des services de réhabilitation physique et psychosociale ou un soutien matériel aux victimes de crimes relevant de la compétence de la Cour. »

Le mandat de réparation permet au fonds de récupérer les amendes et le produit des biens confisqués d’une personne reconnue coupable par la Cour afin de donner des réparations aux victimes. Ce mandat est donc lié à un verdict de culpabilité, contrairement au mandat d’assistance.

La fonction d’assistance permet aux victimes de recevoir de l’aide rapidement avant que la Cour ne rende un jugement et indépendamment de celui-ci. Les différences principales avec le mandate de réparation sont que les fonctions d’assistance sont financées par les contributions volontaires, qu’elles viennent d’États ou qu’elles soient privées et qu’elles s’adressent à un plus grand nombre de victimes provenant de situations plus larges que celles adressées à la cour.

Selon les chiffres donnés par le Fonds, plus de 300 000 bénéficiaires directs et indirects ont profité des programmes du fonds depuis le début de ses actions.

 

  • La communication et budget: clés oubliées du travail auprès des victimes

 

Cette rencontre a été marquée par une constatation unanime des organisations de la société civile quant au manque de visibilité du fonds. Celui-ci est notable à la fois auprès des organisations de la société civile, des victimes et des potentiels bailleurs financiers.

Ainsi, plusieurs  ONG de terrain ont constaté le fait que beaucoup de personnes potentiellement concernées par les actions du fond ne connaissent pas son existence d’une part et d’autre part, que celles qui en ont entendu parler, n’ont pas toujours reçu des informations claires relatives à son fonctionnement. Les membres de la société civile ont également fait remarquer la nécessité de contextualiser l’information donnée en fonction des situations au sein desquelles il se déploie et de rendre celle-ci accessible. De manière anecdotique mais assez révélatrice, une ONG malienne a fait savoir qu’elle n’avait connu l’existence du fonds et de son action que lorsqu’avait été nommée au sein de son bureau une personnalité malienne.

Les membres du Bureau du Fonds eux-mêmes ont reconnu la nécessité de construire une stratégie de communication plus efficace sur le terrain et la nécessité de renforcer les messages de vulgarisation des actions auprès des personnes victimes.

Le manque de visibilité est préjudiciable également à la recherche de diversification et d’augmentation des contributeurs volontaires qu’ils soient étatiques ou privés en vue du mandat d’assistance. Savoir mettre en avant ses actions et les impacts de ses projets est un défi majeur pour cette entité. Trente-quatre États ont contribué au Fonds jusqu’ici. Selon les informations données par le Fonds, sur la période 2010-2014, les dons privés se sont élevés à hauteur de 80 000 euros. Il est ressorti des interventions des ONG qu’il était nécessaire d’achever une stratégie de communication performante afin d’informer sur les missions de l’entité dans le but final de parvenir à une augmentation notamment de ce type de dons et par conséquent d’étendre le mandat d’assistance ayant pour but de venir en aide à un plus grand nombre de personnes que les personnes identifiées en tant que victime dans le processus de réparation.

Cette éclairage du fossé existant entre la place des victimes dans la rhétorique relative aux acteurs de la Cour pénale internationale et les moyens concrets qui sont mis à leur disposition à travers la situation du Fonds au profit des victimes ne constitue qu’une des manifestations du manque de considération à leur égard. Cela nous amène à nous interroger sur les objectifs et la dynamique symbolique de la justice internationale pénale : la question « pour quoi fonctionne la Cour pénale internationale aujourd’hui ?» a-t-elle étouffé la question « pour qui la Cour pénale internationale fonctionne-t-elle ? » ?

La délégation du Partenariat canadien à la 15e Assemblée des États Parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale est financée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) par le biais du projet “Strengthening Justice for International Crimes: A Canadian Partnership”.

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