Les événements récents survenus aux quatre coins du monde nous ont brutalement rappelé que le non-respect de la légalité peut entraîner à des violations graves des droits civiles, politiques, économiques, sociaux et culturels de même que déboucher sur des régimes oppressifs et des conflits violents. En conséquence, les États membres de l’Assemblée des États Partie (AÉP) au Statut de Rome ont réaffirmé, lors de cette 15e session, leur attachement à la primauté des droits fondamentaux et la nécessité de le garantir par des efforts concertés entre les États. Ils se sont engagés en outre à ce que les violations des droits de l’homme soient punies. Toutefois, prendre des engagements est une chose, les mettre en œuvre en est une autre, comme le montre si bien le cas de la Guinée.
En effet, la Guinée a ratifié le traité de Rome le 14 juillet 2003. Depuis, la Cour Pénale internationale (CPI) est en principe compétente pour juger les crimes internationaux visés au Statut de Rome, et survenus sur son territoire ou commis par ses ressortissants. Quelles sont les violations graves des droits de l’Homme (nature et ampleur) qui ont été commis dans ce pays? Quelles sont les mesures adoptées par les autorités pour faire face par exemple aux violences récentes commises lors des événements dits du 28 Septembre 2009 ? Qu’en est-il de l’impunité en Guinée ? Quelles sont les perceptions des victimes à propos de la justice dans ce pays?
La Guinée : une longue culture d’impunité
Depuis 1958, date d’accession du pays à l’indépendance, à 2008, soit pendant près de 50 ans, la Guinée a connu deux régimes autocratiques, l’un aussi répressif que l’autre. Ahmed Sékou Touré, premier président du pays, s’est maintenu au pouvoir de 1958 jusqu’à sa mort en 1984. Son long règne a été jalonné de nombreuses accusations de violations des droits humaines et autre crimes contre l’humanité. Sa tristement célèbre prison de Camp Boiro fait partie des hauts lieux de torture et de négation de la dignité humaine. Durant ses 26 ans de pouvoir, environ 50 000 personnes ont été tuées et des milliers d’autres forcés à l’exil (René Gomez, 2007).[1]
Son successeur, le général Lansana Conté, parvenu au pouvoir grâce à un cout d’état militaire s’y maintiendra durant 24 ans. On lui reproche également d’avoir commandité plusieurs violations massives des droits de l’homme. Ainsi, en 1985,on lui attribue l’assassinat d’une centaine de personnes. Pendant les manifestations de janvier et février 2007, le même scénario s’est produit avec un bilan plus funeste: 200 morts, des centaines de blessés, de nombreuses femmes violées et des centaines de disparus (Ben Said, 2000).[2] Le dauphin constitutionnel de Conté a été évincé par un coup d’état militaire. L’armée, sous la direction du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), a pris le pouvoir à la mort du général Conté et nommé le capitaine Moussa Dadis Camara comme président de la junte.
La nomination du Capitaine Dadis Camara a été saluée par les partis d’opposition, les syndicats et les groupes de la société civile. Le chef de la junte leur avait en effet promis d’organiser des élections démocratiques, libres et transparentes auxquelles il n’entendait pas prendre part. Lorsque le Capitaine Dadis renonce à ses promesses et décide de se présenter aux élections présidentielles, il devient la cible de ses anciens soutiens, réunis au sein d’une coalition composée de partis d’opposition, d’organisations de la société civile et de syndicats, dénommée les Forces vives. La manifestation organisée par les Forces Vives au stade de Conakry le 28 Septembre 2009, pour protester contre la candidature du Capitaine Dadis Camara sera violemment réprimée. La garde prétorienne du putchiste, commise au maintien de l’ordre, sera responsable de la mort de plus de 150 personnes, fera 1 319 blessés et s’adonnera à des viols et agressions sexuelles sur près de 109 femmes. L’ONU a aussi confirmé des cas de tortures et de traitements cruels, inhumains ou dégradants lors d’arrestation et de détentions arbitraires, de même que des attaques disproportionnées et indiscriminées lancées contre des civils sur la base de leur appartenance ethnique/ou de leur affiliation politique présumée. C’est à juste titre que les violences survenus au cours de cette tragique journée ont été baptisées de massacre du 28 septembre 2009. La commission de l’ONU mise en place pour enquêter sur l’événement a conclu que ces violences relèvent des crimes contre l’Humanité (Cour Pénale Internationale, 2016).[3] En décembre 2009, Président Camara reçoit une balle dans la tête de son aide de camp, le Lieutenant Aboubacar Toumba Diakité, encore en caval. Après un traitement médical intense au Maroc, le président Daddis survi, mais est exilé au Burkina Fasso, laissant le général Sékouba Konaté assurer son intérim.
En 2010, les guinéens ont voté pour la première fois depuis l’indépendance pour élire leur président dans un climat presque complètement exempt d’intimidation, de peur et de manipulation. Beaucoup de guinéens voyaient dans ces élections la possibilité de mettre fin à des années de souffrance, d’autoritarisme, de violations des droits humains et de corruption. Cependant, l’heure actuel est au désenchantement: bon nombre sont déçus du bilan du président démocratiquement élu.